Vingt ans après Grégory, que sont-ils devenus?
Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, 4 ans, disparaît du chalet de ses parents, à Lépanges dans les Vosges ; quelques heures plus tard, il est retrouvé noyé dans la Vologne, pieds et poings liés par des cordelettes, un bonnet recouvrant son visage. Son père, Jean-Marie Villemin, reçoit une lettre anonyme : « J'espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas ton argent qui te rendra ton fils. Voilà ma vengeance ». L'affaire Grégory, qui a bouleversé la France des années quatre-vingt, reste un douloureux mystère.
Toujours pas de coupable jugé et condamné. Et une deuxième victime : Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin, inculpé de l'assassinat du petit Grégory après les aveux de Muriel, sa jeune belle-sœur, qui se rétractait deux jours plus tard. Trop tard. Jean-Marie Villemin abattait Bernard Laroche.
Le père de Grégory emprisonné, la mère, Christine, n'allait pas tarder à être inculpée pour l'assassinat de son fils. « Sublime, forcément sublime », écrivit Marguerite Duras dans « Libération ». Christine Villemin a bénéficié d'un non-lieu en 1993.
La justice s'est noyée dans la Vologne. Police et gendarmerie ont échoué. On a fait, alors, le procès d'une certaine presse, piétinant la tombe de l'enfant, monnayant les confidences haineuses. Comme si le « corbeau », qui avait revendiqué le crime au nom d'une « vengeance » familiale, avait eu le pouvoir maléfique de noircir toute une société. L'assassinat d'un enfant est toujours la mort d'une innocence.
La Vologne, aujourd'hui, a retrouvé le calme. Les parents du petit Grégory disent vouloir « la paix ». Le père, Jean-Marie, est sorti de prison ; il a retrouvé Christine. Ensemble, ils ont eu trois autres enfants, et sont allés vivre en région parisienne.
Sur le plan judiciaire, pourtant, l'affaire n'est pas close. Le délai de prescription a été repoussé jusqu'en 2011.
En 2000, l'analyse ADN d'un demi-timbre retrouvé sur l'une des lettres anonymes du corbeau est effectuée à la demande des grands-parents de Grégory, afin de rechercher d'éventuelles traces de salive séchée. Mais aucune empreinte génétique ne peut finalement en être extraite. En 2001, la cour d'appel de Versailles a accordé une indemnisation à la famille de Bernard Laroche, reconnaissant que la justice avait commis une « faute lourde » en n'assurant pas la protection à laquelle la famille pouvait prétendre.
En 2004, l'État a été condamné à verser 35 000 € à chacun des parents de Grégory ; la cour d'appel de Paris a reconnu « le dysfonctionnement du service public de la justice ».
En février de cette année, très discrètement, Christine et Jean-Marie Villemin ont fait exhumer la dépouille de Grégory du cimetière de Lépanges. La dépouille de l'enfant a été incinérée.
Et l'on ne saura peut-être jamais qui a tué le petit Grégory.
La vie discrète de Christine et Jean-Marie Villemin
Vingt-
Ils étaient unis dans le malheur, ils ne se sont jamais quittés : les époux Villemin vivent toujours ensemble. Le couple s'est établi dans l'Essonne en 1987, sitôt Jean-Marie remis en liberté, fuyant les médias et la curiosité du public. Jugé en 1993, il a effectué 37 mois de détention préventive pour le meurtre de son cousin Bernard Laroche. Il a bénéficié d'une « libération conditionnelle ». Trois enfants sont nés dans leur foyer, dont Julien, en 1985, pendant la première incarcération de son père, et Emilie, en 1990. Jean-Marie Villemin, contremaître au moment du drame, a le même employeur depuis 1987 ; Christine, 44 ans, ouvrière lors de la mort de Grégory, est mère au foyer.
D'elle, qualifiée d'« héroïne », Marguerite Duras avait écrit, en 1985 dans « Libération », un article qui fit grand bruit, intitulé « Sublime, forcément sublime ». En novembre 2002, le tribunal de grande instance de Paris a débouté le couple de sa demande d'indemnisation, estimant que la justice n'avait pas commis de « faute lourde » durant l'instruction. Mais, deux ans plus tard, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement, condamnant l'Etat à verser
35 000 euros à chacun des deux parents pour « dysfonctionnement du service public de la justice ». La cour a considéré que les époux Villemin n'avaient pas bénéficié des « chances de connaître les circonstances de la mort de leur fils. »
Les époux Villemin, soucieux, disent-ils, de discrétion sur leur vie privée, n'ont jamais hésité à évoquer celle-ci, dans des livres, « Ce 16 octobre » paru en 1994 et « Laissez-moi vous dire » en 1985 où la famille de Bernard Laroche (un temps désigné comme étant le meurtrier de Grégory) n'était pas épargnée, et où Christine clamait son innocence.
En février dernier, la dépouille de leur petit garçon a été exhumée du cimetière de Lépanges et incinérée à Epinal. Le couple a conservé la moitié des cendres.
Marie-Ange Laroche est encore seule
Marie-Ange Laroche, née Bolle, attendait un enfant (elle l'appellera Jean-Bernard) lorsque son mari Bernard Laroche fut abattu sous ses yeux et ceux de son fils Sébastien (24 ans aujourd'hui) par Jean-Marie Villemin le 29 mars 1985.
Bernard Laroche, cousin du père de Grégory, avait été inculpé d'assassinat sur l'enfant des Villemin et écroué à la suite d'expertises graphologiques. Il avait été également accusé par sa jeune belle-sœur âgée de 15 ans, Muriel Bolle (la sœur de Marie-Ange Laroche). Mais deux jours plus tard, l'adolescente se rétractait.
Bernard Laroche était remis en liberté tout en restant inculpé d'assassinat. Le commissaire Jacques Corrazi (lire ci-contre) affirme que la gendarmerie « s'est trompée de coupable » avec Bernard Laroche.
Veuve, Marie-Ange ouvrira un restaurant sans grand succès avant de s'essayer à la vente ambulante. Marie-Ange Bolle s'est remariée une première fois le 10 septembre 1988 avec un cousin éloigné qui s'est suicidé quelques années après. De cette seconde union est née une petite fille, Marie-des-Neiges. A nouveau seule, l'ancienne compagne de Bernard Laroche s'est consacrée à ses enfants. Une troisième union a échoué.
Marie-Ange Bolle vit désormais seule en HLM de la banlieue d'Épinal (Vosges). Le 23 février 2001, la Cour de cassation lui a accordé les indemnités qu'elle réclamait à l'État.
Le commissaire Corazzi est en librairie
«Cette affaire n'a jamais cessé de me hanter» : l'ancien commissaire Jacques Corazzi était chef de la section criminelle du SRPJ de Nancy lorsqu'il a été chargé de l'enquête sur l'assassinat du petit Grégory le 4 février 1985, les gendarmes ayant été dessaisis de l'affaire.
«Pour moi, c'était elle», dit-il. A la suite de l'enquête de police, Christine Villemin fut incarcérée le 5 juillet 1985. Quelques jours plus tard, la cour d'appel de Nancy désavouait le juge, et Me Garaud réussissait à lever les présomptions de culpabilité qui pesaient sur sa cliente.
Parmi les indices relevés par la police, des cordelettes retrouvées au chalet des Villemin, semblables à celles qui entouraient les poignets de l'enfant, de lourdes factures de téléphone, des empreintes de pneus près de la Vologne...
Cette enquête du SRPJ, le commissaire Corazzi a attendu sa retraite pour la raconter dans un livre, «Le secret de la Vologne» (éditions Gérard Louis), que Christine et Jean-Marie Villemin ont tenté de faire interdire; la justice les a déboutés en 2003.
Pour Jacques Corazzi, l'affaire n'est pas encore terminée : «Les enregistrements de la voix du corbeau, une voix de femme, peuvent être encore exploités car de nouveaux moyens existent. Des témoins peuvent encore se manifester. Si les Villemin veulent vraiment connaître la vérité, ils le peuvent encore».
Au Mans, le «petit juge» Lambert écrit des polars
Jean-Michel Lambert, qui s'était lui-même surnommé « le petit juge » dans un livre paru en 1987 sur l'affaire Grégory, a été nommé en 2004 magistrat au tribunal du Mans. Marié et père de famille, marathonien, devenu auteur de polars, il se dit « très heureux dans sa vie privée ». Jean-Michel Lambert revient régulièrement dans les Vosges, autant pour voir sa belle-famille que pour y rencontrer ses amis.
A-t-il définitivement tiré un trait sur « l'affaire » ? Rien n'est moins sûr. Car les deux années qu'il a passées à instruire le dossier, du 17 octobre 1984 au 11 septembre 1986, l'ont profondément marqué. Les randonnées pédestres dans les Vosges l'attiraient ; c'est pourquoi il avait choisi Epinal pour son premier poste de magistrat, en 1980. Il s'est retrouvé au cœur d'une affaire criminelle des plus horribles, le meurtre d'un enfant.
« Cette affaire fut une catastrophe judiciaire », dit-il cette semaine dans une interview à « VSD ». Le juge Lambert a été critiqué pour son instruction : « Mais je ne suis pas la justice à moi tout seul », plaide-t-il.
Et de remettre en cause l'autopsie pratiquée à l'époque sur le corps de l'enfant. Bâclée, selon lui. Ainsi que la perte d'indices : « Si nous avions pu analyser l'ADN contenu dans la salive déposée sur les différents courriers du corbeau, ce crime aurait été résolu en quelques jours ».
Me Garaud a été enterré en Ariège
Prônant la peine de mort, Me Henri-René Garaud se disait l'avocat des « braves gens ». Il fut celui de Christine Villemin, négociant les interviews de sa cliente, et ne ménageant pas les déclarations dans la presse. Voix haut perchée, élégance désuète, cheveux bleutés, ses plaidoiries étaient terre à terre mais efficaces : « Il y a deux choses qui m'épouvantent, ne pas être compris et être ennuyeux », disait-il. Longtemps maire du village ariégeois de Vaychis, Me Henri-René Garaud repose dans sa terre natale. Il est décédé en juillet 1998.
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