Même si l'alcool les sépare radicalement, le thé et le vin empruntent des trajectoires semblables, du terroir aux rites de dégustation, en passant par leur savante élaboration: cela leur vaut d'être réunis à Pékin dans une exposition, qui voyagera à Paris à la fin de l'année.
Symboles phares de l'art de vivre et de la convivialité, les deux boissons millénaires ont notamment en commun de provenir d'« arbres de vie » – le théier et la vigne objets de culte religieux et de légendes depuis la mythologie.
« Le thé a d'abord été une médication et c'est le bouddhisme qui l'a sauvé. Et le vin antique aurait disparu s'il n'y avait pas eu le christianisme », souligne Jean-Paul Desroches, commissaire de l'exposition « Le thé et le vin : une passion partagée », ouverte dans la maison des Arts Yishu 8, l'ancienne université franco-chinoise de Pékin. Cet ancien conservateur général du musée des arts asiatiques Guimet, à Paris, a revisité un texte oublié, le « Chajiulun », « dialogue du thé et du vin » datant de la dynastie des Tang.
Écrit au pinceau il y a plus de mille ans par un certain Wang Fu, il faisait partie des manuscrits découverts au début du XXe siècle dans les grottes de Dunhuang, célèbre étape de l'antique Route de la Soie. Quatre exemplaires sont conservés à la Bibliothèque nationale de France et deux à Londres, à la British Library.
Dans son texte non dénué d'humour, Wang Fu imagine une conversation entre le thé et le vin, chacun vantant ses mérites et raillant l'autre. Jusqu'au moment où surgit un troisième larron, l'eau, qui se moque de leur vanité et clôt la querelle. Il s'agit d'une « vieille lutte chinoise », explique M. Desroches, opposant « le vin, soutenu par les lettrés et symbole d'ivresse, y compris d'ivresse poétique, et le thé, soutenu par les Bouddhistes et symbole de sérénité ».
« Vous avez dans le thé et dans le vin une histoire totalement parallèle », insiste-t-il, en citant notamment les « contenants », conçus pour mettre en valeur la robe de la boisson. « Les outils principaux du thé sont les bols à thé et cela n'existe que par une forme d'art du feu qu'est la céramique. Le vin a besoin d'outils pour être dégusté et cela n'existe que par une seule forme d'art du feu qu'est le verre ou le cristal ».
À l'infinie diversité des thés (vert, rouge, jaune, noir, blanc et thé « wulong »…) répond la palette des cépages des vins, avec d'autres couleurs (blanc, rouge, rosé, gris). Au terroir des vins --la parcelle de vigne-- correspond le jardin des thés. Il existe des routes des thés comme des routes des vins. Et pour déguster les deux boissons on évoque les mêmes saveurs de fruits ou de légumes, l'aspect tanique, la longueur en bouche…
Enfin, tout comme le vin blanc se boit généralement plus jeune que le vin rouge, le thé vert se boit plus jeune que le thé fermenté. Si le vin est né dans l'Orient méditerranéen, la Chine du Sud est le berceau du thé. C'est là, dans la province du Yunnan, que Mme Li Minguo cultive du pu'er, l'un des « grands crus » de thé.
Dans les montagnes jouxtant le bassin du Grand Mékong s'est formée une culture dont la richesse rivalise avec celle du vin en Europe, assure-t-elle.
« Le bon vin et le bon pu'er ont besoin d'un environnement spécial, riche en biodiversité », affirme la spécialiste.« Et lorsque la qualité est au rendez-vous, ils peuvent être conservés, vieillis et classés selon le nombre d'années. En cela ils se ressemblent beaucoup ».
« Le pu'er peut aussi être comparé au vin car il pousse sur de grands arbres, dans la région du Xishuangbanna. Leurs racines sont très profondes et leurs branches très anciennes », décrit Mme Li.
Tout comme les grands bordeaux de cuvées exceptionnelles, les prix des vieux pu'er bonifiés avec le temps s'envolent aujourd'hui aux enchères en Chine. Les deux marchés sont porteurs.
Vin en France ou thé en Chine, « il y a des deux côtés 2.000 ans d'histoire », constate Sophie Kessler, responsable du domaine Château Calissanne, des coteaux d'Aix-en-Provence qu'elle est venue présenter à Pékin. L'exposition « Une passion partagée » s'installera à partir du 3 décembre aux Galeries Lafayette à Paris, qui en assurent le mécénat.
Parmi les pièces maîtresses figure un oreiller en céramique remontant à la dynastie des Song du Nord, qui porte l'inscription suivante : « Pour chasser la mélancolie, rien de meilleur que le vin. Pour détruire les illusions, rien n'égale le thé ».