Le secret de l'Entrecôte enfin dévoilé
Le succès de ce restaurant ne se dément pas depuis 1959. Il tient à sa sauce, quasi "philosophale", que notre enquêteur a su décrypter.
Restaurant plus connu pour son plat unique (l'entrecôte) que par son nom, alors que l'un et l'autre figurent sur l'enseigne, tel est le paradoxe entretenu depuis près d'un demi siècle entre Le Relais de Venise, son Entrecôte, et une clientèle, aujourd'hui internationale, qui ne jure que par la sauce. Le succès est tel que chaque jour, à 11 h 30 et à 19 heures, et par tous les temps, une queue se forme sur le trottoir devant la porte de l'établissement parisien.
Précisons qu'il n'y a rien de vénitien sur la carte. C'est en 1959 que Paul Gineste de Saurs créa, sur le modèle, dit-on, d'un restaurant genevois, une formule immuable composée d'une salade aux noix, d'une pièce de viande en deux services accompagnée de frites à volonté et surtout d'une sauce miraculeuse. "Ce sont les sauces qui ont créé et maintenu l'universelle prépondérance de la cuisine française", écrivait le grand Escoffier dans son Guide culinaire (1903).
Si aujourd'hui ce point de vue est parfois contesté - souvent à tort -, la sauce de l'Entrecôte reste la principale, sinon l'unique, explication de son succès, avec un prix, toutefois raisonnable, de 22 euros pour l'entrée et le plat, auquel il faut ajouter entre 6 et 7,50 euros si l'on prend un dessert.
Il est relativement aisé, à la condition d'avoir un bon fournisseur, de se procurer une entrecôte savoureuse (en l'occurrence celle des boucheries Pétard) et de trouver la bonne pomme de terre. Mais la sauce qui se transforme en or ? Inutile d'en solliciter la recette, puisque toute la stratégie de Paul Gineste de Saurs et de ses successeurs a consisté précisément à entretenir le mystère.
Des imitateurs ont cru le percer en imaginant que la divine mixture contenait des anchois ; d'autres estiment qu'elle est un philtre, élaboré secrètement au sein de la famille, près de Toulouse, ou qu'elle est "importée de Suisse".
Il est vrai que l'extraordinaire succès de cette sauce quasi "philosophale" a suscité bien des vocations, tant au sein même de la famille à Nantes, à Toulouse, à Bordeaux et à Montpellier, qu'à l'extérieur du clan. A Lyon, ce n'est qu'après dix ans de procédure acharnée que la Maison de l'entrecôte eut droit de cité à la fin des années 1990. Car, à défaut de pouvoir breveter la sauce, malgré les efforts d'Alain Senderens autrefois en faveur d'une reconnaissance de la création culinaire, seule l'enseigne a pu être - temporairement - protégée. Aujourd'hui, deux établissements seulement, à Londres et à Barcelone, peuvent se réclamer de la maison mère du boulevard Pereire et servir la fameuse sauce.
LA FRITE "BLANCHIE" À L'HUILE
Son aspect lisse et brillant, au moins en début de service, sa couleur et sa texture l'excluent de la série des sauces brunes, sans pour autant la classer parmi les roux blonds. Aucune carcasse ou mirepoix de légumes, aucune liaison à l'oeuf ou à la farine n'interviennent dans la sauce en question, plus proche, en revanche, des saveurs d'un gâteau de foie blond que d'une sauce suprême. Nous en avons percé le mystère.
Ses ingrédients sont le foie de volaille, le thym frais et la fleur de thym, la crème fleurette, la moutarde blanche, le beurre et l'eau, le sel, le poivre. Ustensiles : une casserole, un mixer, un chinois.
En voici la progression. D'une part, faire blondir doucement les foies de volaille avec du thym frais et les faire légèrement colorer. D'autre part, faire réduire à feu doux la crème liquide (fleurette) avec la moutarde blanche de Dijon et parfumer à la fleur de thym fraîche. Mixer finement les foies de volaille, puis les passer au chinois dans la crème réduite. Attention à l'évolution de la sauce : lorsqu'elle épaissit, incorporer le beurre ferme et un peu d'eau. Rectifier, sel et poivre du moulin. Rien de plus simple, en apparence. Cette recette exige cependant un certain tour de main, c'est-à-dire plus d'application que d'inspiration. Elle doit moins au génie d'un grand cuisinier qu'aux mille inconnus modestes qui, depuis des générations, ont tourné la spatule de bois dans la casserole.
L'art de la frite est du même ressort. La pomme de terre, épluchée à la main, ne doit jamais être trempée dans l'eau ; elle doit être "blanchie" dans une huile d'arachide propre à 160 0C, puis saisie ensuite à 180 0C. C'est de ces deux cuissons successives que dépendent le doré, le croustillant en surface et le moelleux de la frite, quelle qu'en soit la taille.
Mais encore faut-il disposer de pommes de terre adéquates, alors que sévit, depuis la récolte désastreuse de 2006 due aux mauvaises conditions climatiques, une pénurie mondiale génératrice d'un doublement des prix. La bintje, reine de la frite, se fait rare, mais beaucoup d'autres parmi les 300 variétés, telle l'agria, sont équivalentes.
Avec une consommation annuelle de 30 kg par personne, la France reste attachée à la pomme de terre de qualité, même si la petite nouvelle de l'île de Ré (AOC) est vendue ces jours-ci à 9,95 euros le kilo dans les boutiques de luxe. Pour la qualité constante de sa viande, sa sauce culte et ses frites maison, son service alerte, ses prix raisonnables, le Relais de Venise mérite le statut d'institution conféré par sa clientèle.
Relais de Venise, son Entrecôte, 271, boulevard Pereire 75017 Paris. Tél. : 01-45-74-27-97. Ouvert tous les jours. Sans réservation. Site Internet : www.entrecote.fr.
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