Immobilier en Chine : au bord du précipice
22 novembre 2012 | La Rédaction de la Quotidienne d'Agora | Catégorie: La quotidienne
Par Damien Durand (*)
Petit flash-back “Japon 1990″ : alors que l’influence économique et financière nippone sur le monde occidental semblait, aux yeux du grand public, ne jamais connaître d’essoufflement, le brusque éclatement de sa bulle immobilière a soufflé le château de cartes.
Vingt ans après, l’archipel ne s’en est jamais complètement remis. Il a stagné économiquement, et un autre poids lourd asiatique, la Chine, a émergé. Comme le Japon en son temps, le modèle chinois provoque de l’admiration en Occident. Comme le Japon, son industrie est florissante et grignote les parts de marchés européennes. Comme le Japon, la Chine est le “favori” du grand public pour devenir le leader incontesté de demain.
Et comme le Japon, la Chine, qui fait les mêmes erreurs, pourrait tout perdre à cause de sa bulle immobilière. Sauf qu’en 2012, avec une intégration plus grande des économies mondiales, l’onde de choc pour les économies européennes pourrait faire passer la crise japonaise pour un pétard mouillé.
La grenouille et le boeuf
La question n’est plus de savoir si la bulle va se dégonfler ou pas, mais jusqu’à quelle niveau elle va pouvoir subsister en l’état sans éclater avec fracas, tant le seuil d’alerte est dépassé depuis longtemps. Contrairement au Japon où la bulle s’est créée suite à la brusque correction du taux de change yen/dollar via les accords du Plaza, la bulle immobilière chinoise trouve son origine dans une autre crise que connaît la Chine et peu décrite par les médias généralistes : l’effondrement de la Bourse.
En effet, alors que le grand public français imagine que la Chine est un pays inspirant la confiance d’une croissance infinie, ce n’est pas l’avis des investisseurs chinois : après un premier effondrement entre 2005 et 2007, la Bourse chinoise a encore perdu 60% de sa valeur depuis 2008.
Devant une place de marché qui rime avec gouffre financier, les investisseurs locaux se sont rapidement tournés vers l’immobilier (et, dans une moindre mesure, vers les oeuvres d’art.)
Si la situation espagnole vous semblait déjà absurde avec ses quartiers résidentiels entièrement vides, la Chine risque bien de présenter pour vous un paysage de cauchemar. Alors qu’au plus fort de la fièvre immobilière, le secteur représentait en Espagne 12% de PIB, la Chine est passée, elle, à 15%. De 2002 à 2012, les mises en chantier ont été multipliées par 10.
Conséquences classiques et prévisibles : primo, la hausse exponentielle du coût de l’immobilier dans les villes chinoises (prix du m² multiplié par 2,5 en seulement cinq ans) ; secundo le nombre excessif de transaction immobilière purement spéculative – comprenez, où l’acquéreur n’habitera jamais le bien – qui varie selon les villes entre 20% et 40%.
La Chine compterait aujourd’hui environ 64 millions de logements vides. Image symbolique, timidement reprise par les médias, de cette dérive immobilière : la ville d’Ordos, en Mongolie intérieure, qui compte aujourd’hui 30 000 résidents, alors que le boom immobilier lui a donné une capacité d’accueil de… un million d’habitants ! Vous avez dit ville fantôme ? http://www.youtube.com/watch?v=0brcZTVde-I
Plus dure sera la chute (qui a déjà commencé…)
Face à cette surchauffe, Pékin s’est décidé à réagir, en tentant coûte que coûte de contrôler l’atterrissage pour éviter le crash. Restreignant le recours excessif au crédit, et lançant des grands programmes de logements sociaux, le gouvernement chinois veut à tout prix éviter un scénario “à la japonaise” où la bulle explose d’un coup plongeant le pays dans une crise inextricable.
Sur le papier, les autorités affichent des résultats encourageants depuis un an, avec un plafonnement du prix de l’immobilier, et une légère décote maîtrisée. Bref, tout va bien.
Mais comme souvent en Chine, les bonnes nouvelles viennent des informations officielles. Les chiffres officieux, eux, font craindre un cataclysme économique inévitable (1). Les programmes haut de gamme, très prisés dans les métropoles chinoises, auraient déjà perdu 20% de leur valeur. Les stocks qui ne trouvent pas preneur atteignent dans certaines régions deux ans de vente. Deux-tiers des promoteurs immobiliers seraient en situation de trésorerie négative, et les fermetures pures et simples d’agences immobilières se multiplient.
Les autorités essaient de maintenir au maximum le couvercle de la cocotte-minute, en priant instamment les agences immobilières de en pas répercuter trop rapidement les évolutions du marché dans leurs prix de vente, afin de ne pas créer un mouvement de panique. Certains incidents localisés de propriétaires ayant saccagé des agences pour protester contre l’effondrement de la valeur de leur bien immobilier (pour lequel ils s’étaient endettés sur vingt-cinq ans, et dont le crédit ponctionne jusqu’à 70% de leur revenu (2)) font craindre à l’Etat que l’immobilier puisse être le détonateur d’une crise sociale incontrôlable.
Quelles conséquences d’une explosion de cette bulle sur les économies européennes ? A très court terme, a priori, les économies occidentales et leurs systèmes financiers seraient peu impactées, les actifs immobiliers étant très majoritairement possédés par des Chinois.
Le pays reste cependant le premier utilisateur mondial de matériel de construction. Les grosses sociétés exportatrices (l’américain Caterpillar, le japonais Komatsu…) du secteur pourraient être les premières victimes circonscrites de la chute. Mais la crise financière et la crise sociale qui pourraient résulter de l’explosion immobilière auraient, elles, des conséquences dramatiques.
La Chine est le deuxième PIB mondial, avec une économie très ouverte sur le monde (avec un rapport commerce extérieur/PIB autour de 60%.) Quand elle prend froid, le reste du monde éternue. Quid si elle tombe gravement malade ? Les exportations françaises en Chine qui représentent aujourd’hui 13,5 milliards d’euros sont un des moteurs les plus dynamiques (+22% en un an) d’un commerce extérieur moribond.
Les principaux secteurs exportateurs en Chine (luxe, vins et spiritueux, agro-alimentaires) risquent d’être durablement éclaboussés par l’éclatement de la bulle. Les entreprises largement ouvertes sur l’empire du Milieu escaladent une montagne d’or, avec une corde qui s’étiole de plus en plus. A quand la rupture ?
(1) Jean-Luc Buchalet, Pierre Sabatier, La Chine – une bombe à retardement, Eyrolles, Paris, 2012
(2) Moyenne à Pékin
(*) Damien Durand est diplômé de Sciences Po Paris et de l’IEP Grenoble, où il s’est spécialisé dans les problématiques politiques et économiques en Asie de l’Est et du Sud-Est.
Après avoir disséqué l’actualité française sous toutes ses coutures pour le quotidien japonais Mainichi Shimbun, il est aujourd’hui le rédacteur en chef du magazine bimestriel Pays Emergents.