Pire / Pis
La confusion entre pire et pis est fréquente et se fait – souvent à tort – à l'avantage du premier mot.
L'article consacré à ce sujet par Jacques Pépin, de l'association Défense de la langue française (DLF), me paraissant une bonne introduction, je me permets de le citer quasiment in extenso.
« Il faut d'abord savoir que pire est un adjectif comparatif, et pis un adverbe superlatif. C'est la base du raisonnement.
Cela étant donc posé, l'expression figée de mal en pis est une locution adverbiale qui exprime une progression, une gradation. La situation allait mal, elle va encore plus mal ! Et ce plus mal s'exprime par le superlatif pis. C'est pourquoi on ne peut pas dire "de mal en pire" : il ne s'agit pas d'une comparaison mais de l'expression d'un degré plus fort, d'où ce superlatif. Remarquons que mal est un adverbe, et qu'on ne peut pas utiliser un adjectif pour surenchérir sur un adverbe.
Examinons quelques expressions : le remède est pire que le mal (on compare les effets de l'un avec ceux de l'autre), pour le meilleur et pour le pire (addition de deux substantifs), il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre (l'adjectif qualifie le substantif sourd : un adverbe ne peut pas modifier le sens d'un nom). On peut toutefois employer indifféremment l'un ou l'autre s'il se rapporte à un pronom indéfini ou neutre : ce serait pire ou pis – que pourrait-il nous arriver de pire ou de pis ?
En ce qui concerne « moins pire », c'est une faute parce que pire signifie "plus mauvais" et que la logique nous appelle à constater que "moins plus mauvais" n'a pas de sens : il associe un comparatif d'infériorité (moins) et un comparatif de supériorité (plus) ! [On dira] logiquement "c'est moins mauvais" ou "c'est moins grave". »
En résumé
On retiendra que : • Pire (du latin pejor) est le comparatif de supériorité de l'adjectif mauvais. C'est donc un adjectif (accompagnant un nom ou un pronom) qui signifie « plus mauvais » et dont le contraire est meilleur. On notera que pire est employé au sens abstrait ou moral ; au sens concret, on conserve le comparatif plus mauvais. La situation est pire que je ne l'imaginais (sens abstrait). Sa vue est plus mauvaise que la mienne (sens concret). Ses pires craintes sont maintenant confirmées.
• Pis (du latin pejus, neutre de pejor) est le comparatif de supériorité de l'adverbe mal. C'est donc un adverbe qui signifie « plus mal » et dont le contraire est mieux. On notera que pis est employé au sens abstrait ou moral ; au sens concret, on conserve le comparatif plus mal. Pis peut s'employer comme adjectif, uniquement quand il se rapporte à un pronom indéfini ou neutre (voir point suivant), jamais avec un substantif. Tant pis (et non Tant pire). S'attendre à pis (et non à pire). Il a fait bien pis.
Aller de mal en pis, de pis en pis (et non de mal en pire, de pire en pire). Il va beaucoup plus mal que moi (sens concret). Dire pis que pendre de quelqu'un (= en dire beaucoup de mal). • Dans une construction impersonnelle, pire, se rapportant à un pronom neutre, un pronom indéfini ou une proposition, est admis dans l'usage courant à la place de pis, d'un usage plus ancien, encore bien établi dans la langue soutenue. C'est pire, rien de pire, quelque chose de pire, il y a pire (registre courant) ou C'est pis, rien de pis, quelque chose de pis, il y a pis (registre soutenu) [pis est ici employé comme adjectif neutre]. • Substantivement, le pire doit avoir le sens de « le plus mauvais » et le pis celui de « le plus mal ». Mais force est de constater que, dans cet emploi notamment, pis est supplanté dans l'usage par pire, malgré les recommandations de certains grammairiens. Le pis qui puisse arriver (= la pire chose qui puisse arriver). Le pis est à venir. Le pis de tout.
Cet individu est le pire qui soit. Se marier pour le meilleur et pour le pire.
Au pire ou au pis (= dans l'hypothèse la plus défavorable), ellipse de « en mettant les choses au pire ou au pis ». S'attendre au pire. S'attendre à pis. |
En cas d'hésitation, il convient de remplacer pire/pis par leur synonyme plus mauvais/plus mal ou par leur opposé meilleur/mieux et de voir ce qui fait sens (à l'exception des locutions figées).
Reprenons quelques-uns des exemples précédents :
La situation est meilleure que je ne l'imaginais.
C'est meilleur ou C'est mieux.
Tant mieux.
Aller de mieux en mieux.
Il a fait mieux que ça !
S'attendre à mieux.
Cet individu est le meilleur qui soit.
Subtilités
Leurs enfants sont cent fois pires que les nôtres (adjectif) mais Leurs enfants font cent fois pis que les nôtres (adverbe).
Remarque 1 : Pire ne devrait jamais s'employer comme adverbe. Mais, dans le langage courant, il est souvent mis elliptiquement pour « quelque chose de pire ».
Son état devrait se stabiliser ou, pire, dégénérer (pis serait ici préférable).
De même, par confusion avec pis, on rencontre fréquemment la locution adverbiale de pire en pire (au lieu de de pis en pis), même chez de bons auteurs (Nerval). L'Académie constate ainsi, sans plus de trouble apparemment, que « dans la plupart des emplois, pis (...) est supplanté dans l'usage par pire ». En raison de son risible homonyme, le pis de la vache ?
Remarque 2 : Pire et pis étant déjà des comparatifs, il va de soi que les formes plus pire/plus pis et moins pire/moins pis sont aussi incorrectes que plus meilleur/plus mieux et moins meilleur/moins mieux. Cependant, pis et pire peuvent être renforcés par des adverbes (bien, encore, peut-être mais jamais beaucoup ni aussi) ou par des locutions adverbiales (cent fois, mille fois...).
C'est bien pis. C'est cent fois pire (et non pas C'est très pire).
Remarque 3 : On se gardera de toute confusion entre et pis (encore, que ça...) et et pis (quoi encore...), forme altérée et affreusement populaire de et puis.
Remarque 4 : Pour désigner une « solution de dernier recours, adoptée faute de mieux », on parlera d'un pis-aller, nom masculin invariable composé de l'adverbe pis et du verbe aller (pour : « en mettant les choses au pis »).
Remarque 5 : Voir également l'article consacré au verbe Empirer.