Chypre : la "panique bancaire" n'a pas eu lieu
Le Monde.fr | 28.03.2013 à 13h01 • Mis à jour le 28.03.2013 à 13h55 Par Benoît Vitkine| AFP/Yiannis Kourtoglou
Nicosie, envoyé spécial. L'expérience en la matière est si réduite que l'on serait bien en peine d'affirmer avec certitude si le "bank run" chypriote tant redouté a eu lieu. A première vue, non. A midi (11 heures, heure française), jeudi 28 mars, les banques de l'île ont bien rouvert, après douze jours de fermeture, mais les petits groupes qui avaient commencé à se former quelques minutes auparavant devant les agences ne semblent pas constituer l'avant-garde d'une ruée sur les guichets qui pourrait mettre à terre l'économie chypriote et menacer l'ensemble de la zone euro.
Sur la place de l'Indépendance, à l'entrée de la vieille ville de Nicosie, on comptait plus de journalistes que d'épargnants attendant l'ouverture des portes. Partout en ville, les files d'attente ne dépassaient guère la vingtaine de personnes, comme devant l'agence de la Bank of Cyprus de la rue Katsoni, un peu plus au sud.
"LES GENS SONT PLUS INQUIETS POUR L'AVENIR DU PAYS QUE POUR EUX-MÊMES"
Ce n'est pas la panique, ou la peur de voir une part supplémentaire de ses dépôts saisie, après des pertes qu'il estime à 30 000 euros, qui a poussé Georges Ktenas à patienter sous le soleil depuis 10 h 40. Mais cet homme de 65 ans, qui possède une pharmacie et une petite entreprise de distribution de médicaments, doit déposer le liquide et les chèques que son affaire a générés pendant ces quinze jours de paralysie bancaire.
"Je dois rapidement débloquer des fonds pour pouvoir payer mes dix employés. Ils ont eux-même du mal à payer leur loyer et leurs factures, et la banque va mettre une dizaine de jours pour encaisser mes chèques et leur virer l'argent. Je dois faire vite."
Thomas, un étudiant-infirmier indien de 25 ans, opine : "Dans mon pays, les gens auraient peut-être pris d'assaut les banques par colère et par peur. Mais ici, les gens sont plus inquiets pour l'avenir du pays que pour eux-mêmes." Lui aussi a une raison très prosaïque de se hâter devant l'agence. Impossible, dans le climat actuel, d'espérer trouver un poste à Chypre. Il se prépare donc à partir en Irlande mais, faute d'avoir pu transférer une petite somme d'argent, son dossier de candidature a déjà dix jours de retard.
Dans une agence de la Laiki Bank, le 28 mars, à Nicosie (Chypre). | REUTERS/BOGDAN CRISTEL
Difficile de savoir si le calme affiché par les Chypriotes traduit un flegme à toute épreuve, ou n'est que la conséquence des mesures drastiques prises par le gouvernement pour éviter une ruée trop importante sur les guichets, et plus encore une fuite discrète des capitaux investis dans le pays.
Un décret ministériel adopté mercredi, et valable au moins quatre jours, limite tous les retraits à 300 euros par personne et par jour : inutile d'espérer repartir de son agence avec une petite valise de billets sous le bras. Jusque-là, les clients de Bank of Cyprus et Laiki, les deux banques les plus touchées par la restructuration du secteur bancaire et qui regroupent à elles deux 40 % des dépôts, ne pouvaient retirer respectivement que 120 et 100 euros par jour.
Les paiements et virements à l'étranger seront limités à 5 000 euros par mois. Au-delà, ils devront être validés par un comité spécial qui doit être formé dans la journée. Les voyageurs quittant l'île ne pourront pas emporter avec eux plus de 1 000 euros en espèces. L'encaissement en liquide des chèques – une pratique courante à Chypre – est par ailleurs suspendu.
Le décret ministériel justifie ces mesures en évoquant "le manque de liquidités conséquentes et le risque important de fuite des dépôts, avec pour résultat possible l'effondrement des institutions de crédit" et des "réactions en chaîne" menaçant "l'économie dans son ensemble".
Selon des journaux chypriotes, ces restrictions pourraient être appliquées de manière différenciée dans les 26 institutions bancaires du pays. L'idée serait de laisser plus de marge de manœuvre aux établissements sains, pour ne pas étouffer le commerce sur l'île, et de protéger tout particulièrement la Bank of Cyprus, qui doit être sévèrement restructurée.
HUMEUR MOROSE
Dans la petite foule, l'humeur n'est pas pour autant à la fête. L'abattement, perceptible, est à l'image des déclarations des dirigeants de l'île ces dernières heures. "Nous allons connaître des jours difficiles en 2013, (...) l'économie va connaître une récession profonde", a prévenu le ministre des finances, Michalis Sarris, à la télévision. Le ministre des affaires étrangères, Ioannis Kasoulides, a quant à lui estimé que l'Europe a imposé un prix "trop élevé" à Chypre, alimentant "amertume" et "colère". "Nous devons recommencer à zéro", comme après l'invasion turque de 1974, a prévenu M. Kasoulides.
Craignant des débordements, le syndicat des employés de banque avait, de son côté, appelé la population à ne pas faire retomber sa frustration sur eux. Certaines agences ont même fait appel à des agents de sécurité.
A première vue, donc, le "bank run" chypriote n'a pas eu lieu. Mais les files d'attente de la rue Katsoni n'en sont que l'écume. Il sera bien plus difficile de connaître dans le détail la réaction des gros investisseurs, étrangers en particulier, échaudés par les pertes subies à la suite du plan de sauvetage imposé à l'île à l'aube du 25 mars.
Selon un investisseur étranger basé à Chypre, les premières évaluations laissent penser que "les départs de capitaux vont être limités : les investisseurs locaux sont d'ores et déjà rassurés de voir que la rue ne panique pas ; et les mesures de restrictions, qui ne sont pas si drastiques, empêchent un retrait massif des étrangers".
D'autres sources indiquent toutefois que, quel que soit le rythme de ces départs, les capitaux risquent de s'échapper de l'île pendant plusieurs mois, malgré les contrôles.
L'incertitude est d'autant plus grande que des banques de tout le continent mènent actuellement des démarchages agressifs auprès des investisseurs étrangers ou de leurs représentants chypriotes, promettant une ouverture de compte "en moins d'une heure". La Bourse de Nicosie, elle, est encore restée fermée jeudi.
Reste aussi à savoir si les restrictions imposées sur les mouvements de capitaux permettront au commerce chypriote de recommencer à fonctionner normalement. "Ces douze jours de blocage, additionnés aux pertes importantes que vont subir les clients de la Laiki Bank et de Bank of Cyprus, vont pousser beaucoup d'entreprises à la faillite", confiait mercredi le président de la chambre de commerce et d'industrie chypriote, Marios Tsiakkis.
Benoît Vitkine
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